Insolite [Privé Alucard]

Assise dans un fauteuil du style Louis XVI, Eliade était perdue dans ses pensées. L'air que jouait Armant au piano embaumait la pièce décorée de façon gothique, effleurant la sensibilité de la jeune femme. Elle sentit la chair de poule lui monter le long de l'échine. Le Vampire au long cheveux noir, au visage ferme, au regard perçant et vêtu de façon noble, jouait divinement bien de la musique. Eliade ne se lassait jamais de sa musique. Il avait déjà tenté de lui apprendre mais douée de deux mains gauches, il avait décidé que cela ne mènerait nul part lors de la deuxième leçon. Armant aimait beaucoup Eliade, il l'aimait toujours encore. Il ne la voyait pas comme une Vampire, mais comme une jeune femme trop sensible pour le monde qui l'entoure. Terminant sa partition, il la regarda. Elle était adossé contre le fauteuil, visiblement troublée.
"Est-ce ce que je t'ai dit qui t'as troublé?"
Réveillé de ses réflexions internes par la disparition de musique et par la voix brave et posée du Vampire, Eliade sursauta. Elle ne le regardait pas, préférait contempler une peinture. Elle ne savait pas quoi lui répondre. Il tenait tout de même des propos insolites. Il se leva, elle en fit de même, et marcha quelques pas vers la rouquine. Il lui prit le menton entre son pouce et son index, la forçant à la regarder. Il approcha ses lèvres de celles d'Eliade, mais ne les déposa pas sur ses dernières. Armant était quelqu'un d'étrange, de foncièrement impudique mais qui veillait avec jalousie sur la rouquine.
"Tu sais que j'ai raison."
Eliade détourna le visage gênée.
"Je dois y aller."
Elle se dégagea de lui et prit son manteau qu'elle passa sur ses épaules. Elle quitta la pièce tandis que son ami se servait un vers de cognac. Une fois la porte en chêne massif refermée, elle se dirigea vers la sortie, remontant les escalier pour sortir des sous sols, évitant soigneusement les autres Vampires. Des acteurs capricieux qui ne voyait pas les visites de la rouquine d'un bon oeil. Une fois à l'extérieur du théâtre, elle prit une bouffée d'air frais et se dirigea mains dans les poches vers son appartement à quelques rues de là.

"C'est donc bien ce que je pensais. C'est chez lui que tu vas toujours."
Alucard était adossé à un mur non loin du théâtre. Il avait fait quelques pas en direction de la rouquine en la voyant sortir. Il faisait relativement bon ce soir là. Sans rien demander, le vampire lui emboîta le pas.
"Ce n'est pas toujours très bien famé. Je ne parle pas de ton grand ami, mais plutôt de certains de ses acteurs."

Eliade sursauta. Elle avait la tête ailleurs et il était vraiment la dernière personne qu'elle voulait voir.
"Tu m'espionnes maintenant en plus?"
Elle se sentait pas très bien. Son pouls s'était curieusement accéléré. Pourtant cela ne lui arrivait que très rarement. Elle tourna légèrement le regard vers lui, sans pour autant le regarder.
"Je sais bien qu'ils ont une dent contre moi. Mais ça ne m'empêchera pas d'aller le voir."

"Ca va mal finir un jour... Et vu ce qu'il faut pour t'inciter à combattre, je me dis que tu serai mal barrée."
Alucard marchait à côté d'elle. Il la suivait depuis plusieurs nuits déjà, sauf qu'il était resté à distance jusqu'à présent. Il avait moins de travail ces temps derniers, vampires comme goules se montrant bien plus calmes. Cela ne l'empêchait pas de sortir armé. Sans le Casull, il avait l'impression d'être nu.
"Humaine comme tu te sens, tu aurais du souci à te faire."

Eliade commençait à stresser de plus en plus. Il l'agaçait mais différemment que d'habitude. Cette fois-ci, se fut son attitude bienveillante qui énervait le jeune femme. Elle haussa les épaules soupirant.
"Ils ont toujours été ainsi avec moi. Depuis plus de trois cent ans. J'ai l'habitude. Ils ne feront rien. Armant me la assuré, temps que je ne me mêle pas de leur affaires."

"Tant mieux..."
Alucard leva la tête. Pas loin de là, une goule. Tiens, à croire que l'une de celles de la veille lui avait échappé. Il était vraiment distrait. En passant devant la ruelle où elle se trouvait, il la plomba en un clignement d'oeil, l'air nonchalant. Le Casull regagna son fourreau d'où il avait jailli.
"Pourquoi est-ce que tu cherches à être plus humaine, alors que tu t'es débrouillée pour devenir une vampire?"

Son sang ne fit qu'un tour. Irrité de la question, Eliade se retourna vivement vers lui, réprimant une subite envie de le giffler.
"Je n'ai jamais voulu ça!!"
Elle leva sa main et serra son point, réprimant une envie de le gifler. Elle l'aurait fait encore il y a quelques temps.
"Tu peux pas me foutre la paix non?! J'en ai assez de te voir tout le temps!"
Elle commençait vraiment à être en rogne.

"Non je ne peux pas. C'est comme ça."
Alucard la regarda sans broncher. Elle ne l'impressionnait pas, même avec ses sautes d'humeur.
"Et puis que tu en aies assez, ça m'indiffère."
Le vampire haussa les épaules et reprit sa marche à côté de la rouquine.

Eliade le défia un instant du regard. Sa nonchalance commençait à l'agacer. Ce qui l'énervait encore plus était qu'il ne pouvait certainement pas comprendre ce qu'elle ressentait. Elle détourna le regard, un peu gêné par son allure, plus supérieur qu'elle.
"Mais merde à la fin! Il y a des tonnes de gens en Angleterre!! Pourquoi moi?!"

"J'en sais rien. Parce que."
Alucard se trouvait lui-même différent de toujours. Mais elle, elle était tout aussi différente. Voir plus. D'habitude, elle grommelait mais acceptait sa présence. Ou plutôt se résignait. Elle ne se mettait pas à hurler.
"Qu'est-ce que t'as encore aujourd'hui à gueuler comme un veau..."

"Parce que je n'arrive pas à pardonner l'enfoiré que j'aime d'avoir tué mes amis et de m'avoir fait vivre un calvère!!"
Eliade avait répondu sans trop réfléchir mais elle avait été franche. Un peu trop peut être. Elle détourna de nouveau le regard, confuse, se prenant la tête dans les mains.
"Mais qu'est-ce que je peux être bête! Pourquoi je t'ai claqué ça? A toi?"

Alucard fronça un sourcil. Qu'elle aimait? C'était quoi cette nouvelle blague? Il la regarda, et la question qu'il posa fut d'une franchise totalement désarmante, surtout devant de lui.
"Eliade, c'est quoi aimer? Qu'est-ce que ça fait?"
Il songea avec une pointe de sarcasme qu'il avait l'impression d'entendre Integra. Il se sentait ridicule, mais il ne se souvenait plus de ce sentiment.

Eliade le regarda incrédule. Comment pouvait-elle l'aimer? Derrière ce mur non sentimentale qui ne pensait qu'à tuer, avait-elle trouvé un certain charme? Elle avait toujours eu des goûts étranges pour ses aventures, mais là, cela dépassait tout. Elle se passa une main sur le visage.
"C'est pas vrai mais sur quelle cruche je suis tombée."
Elle croisa les bras et regarda le sol nerveusement, cherchant à expliquer se sentiment qui faisait revivre certaines personnes et tuaient d'autres.
"En gros c'est trouver une personne attirante avec qui ont se sent bien et qui a quelque chose de plus que les autres. Pour certains la présence de l'autre apaise, et pour d'autre c'est l'inverse."

Alucard resta muet. Il réfléchit à ce qu'elle venait de dire. Se pouvait-il que ce soit ça? Qu'il soit amoureux d'elle sans le savoir? Lui? Aimer?
"Dans ce cas, je crois que j'étais amoureux du Casull ces dernières années..."
Il eut un petit rire, puis la fixa.
"Si je me fie à ce que tu me dis, et à mes souvenirs, je crois que je ressens la même chose."

Eliade le regarda du coin de l'oeil. Elle se demandait vraiment ce qui l'attirait chez lui.
"Tu ressens la même chose? Et vis à vis de qui? Ta patronne humaine?"

Cette fois, Alucard éclata de rire.
"Mais non. Sûrement pas... Elle est presque plus redoutable que moi."
Il la regarda, tête légèrement penchée.
"Réfléchis. Je te suivais de plus en plus, sans rien te faire. Simplement parce que je me sentais bien et apaisé."
Il eut un sourire.
"Conclusion?"

Se rendant compte de là où il voulait en venir elle baissa le regard, gênée.
"Ah... d'accord."
'Ah...d'accord', elle n'avait rien trouvé de mieux à dire, rien de plus stupide. Elle glissa ses mains dans les poches et se mit à serrer l'intérieur de sa poche nerveusement. Qu'est-ce qu'elle allait faire maintenant?

Alucard continua à la regarder.
"C'est pas désagréable d'aimer, en fait."
Il détourna le regard.
"J'avais totalement oublié ce que ça faisait."
Il trouvait son manque de réaction un peu étonnant.

Alucard se recula un peu. Il se sentait vraiment bizarre. Ce baiser lui rappelait des choses, et il avait apprécié. Il changeait tout en restant le même. Une notion difficile à expliquer. Il crut deviner ce qui coinçait. Le meurtre des deux humains. Elle les avait beaucoup aimé tous les deux. Ce serait sans doute un obstacle. Le vampire se demanda ce qu'il ferait si c'était à refaire.
"Quoi?"

Adossée contre le mur, Eliade ne leva pas son regard sur lui. Elle serra les poings, détestant ce genre de situation et dilemme.
"Je peux pas."
Elle leva doucement son regard sur lui. Un regard perdu.
"Tu as tué mes amis. Je ne pourrais jamais te pardonner."

Le vampire avait vu juste. Il resta immobile et muet. Il ne pouvait pas leur redonner la vie de toute façon. Mais il pouvait se racheter.
"Une erreur grave de ma part. Mais je ne raisonne pas pareil en fonction des situations."
Il poursuivit.
"Dis-moi comment me racheter."
Ce genre de paroles dans la bouche d'Alucard semblaient plus que déplacées.

"Comment veux-tu te racheter?!"
Elle détourna le regard de nouveau. Il était impossible de racheter la mort de quelqu'un et encore moins celle de deux personnes. Elle aurait certe pu faire l'impasse sur ses deux amis et n'écouter que son coeur, mais elle voyait encore souvent la fille de Sooz, Annabelle. Comment se sentirait-elle devant la jeune enfant alors qu'elle était avec l'assassin de sa mère?
"Tu as tué deux personnes et fait une petite fille orpheline de mère. Tu ne comprends peut être pas, mais il y a aucun moyens pour te rattraper."